Ne pas prendre parti dans une agression, c’est prendre le parti de l’agresseur

Voici un texte sur le thème du « viol ordinaire », témoignage d’une amie dont je tais l’identité.
Mon intention en publiant ce texte qui pourra choquer certain.e.s, est de rendre ce thème plus visible pour faire réfléchir et en particulier nous les mecs, éduqués dans une société qui prône le viol comme quelque-chose de normal, voir désirable !

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« Ne pas prendre parti dans une agression, c’est prendre le parti de l’agresseur »

C’est évident pour moi. Est-ce que ça l’est pour vous ?

Je me suis faite violer. Je me suis faite violer par « un pote ». Pendant un mois après mon agression, j’ai essayé de parler avec lui. Je voulais qu’on puisse rester ami.e.s, qu’on en discute. Je voulais des excuses. Je voulais le voir piteux, voir l’humanité en lui. Je voulais ne pas lui en vouloir.

Apparemment ça n’était pas le moment. Ce n’était pas le moment pour lui de parler avec moi. Mais pour moi il n’y a pas eu de « c’était pas le moment de me violer ». En tout cas j’ai attendu. Et quand je le croisais dans ma ville, on se disait bonjour en souriant.

Trois mois plus tard, le mec organise des soirées. Il n’a pas le temps pour me parler mais il a le temps de commencer de nouveaux projets. Sur les tractes pour les soirées il y a cette phrase qui a agit sur moi comme un électrochoc « si tu es raciste, sexiste, homophobe ou bien un simple connard ne vient pas ». Ça m’a foutu la haine. J’y suis allée à ces soirées, et je lui aussi dit d’arrêter de me dire bonjour en souriant, qu’on avait un souci et qu’il fallait en parler. On a pris rendez-vous pour en parler. Je devais me déplacer sur son lieu de travail pour qu’on discute, car « il n’a vraiment pas le temps ». Moi j’ai accepté ça. J’y suis allée et il n’était pas là. J’ai attendu plus de 30 minutes puis je suis partie. Il n’est pas revenu vers moi pour me proposer un autre rendez-vous. Je précise que ce mec habite à 300m de chez moi. Je considère que s’il en avait quelque-chose à foutre de ma gueule il aurait trouvé un moyen de me parler.

De mon côté j’ai commencé à devenir folle. Cette histoire tourne en boucle dans ma tête. Dès que je croise quelqu’un je me sens obligé d’en parler. Je ne peux pas garder ça pour moi. J’ai besoin d’être dans l’action, de faire quelque chose. L’immobilisme de la situation est en train de me buter.

Je vais à la gendarmerie trois mois après m’être fait poser le lapin. Je veux déposer une main courante. J’ai abandonné l’idée de discuter avec lui. Je veux simplement faire ce que je considère comme mon devoir de citoyenne : informer la justice afin qu’en cas de récidive sur une autre femme mon témoignage soit prit en compte dans son jugement.

Je me présente à la gendarmerie et je demande à déposer une main courante pour non-respect du consentement dans le cadre d’un rapport sexuel. Le gendarme me demande de lui expliquer la situation. Je donne une description objective des faits. Il me dit que ce que j’ai vécu est un viol. Qu’un viol est considéré comme un crime et qu’il est impossible de déposer une main courante. Si je suis auditionnée, que je porte plainte ou pas, cela revient au même pour eux. Les faits sont graves et ils feront une enquête. Mon agresseur sera mît au courant que j’ai parlé. Mon agresseur sera auditionné et devra répondre de mes accusations.

Je décide de réfléchir. Alors je rentre chez moi, tremblotante, je pleure. Sur le chemin du retour, j’appelle une copine pour avoir du soutien. Et en bas de chez moi je croise mon agresseur. Il me salue et me demande comment ça va en souriant. Ça ne doit pas se voir que je pleure.

Je demande à deux amis si je peux les voir. Ils connaissent mon agresseur. J’ai besoin de leur parler pour être sûr que si je retourne voir les gendarmes j’aurais au moins leur soutien à eux. Que si mon agresseur commence à cracher sa haine envers moi publiquement je ne serais pas la seule à me défendre. Mes amis m’assurent de leur soutien. Sur le chemin pour retourner à la gendarmerie j’appelle ma mère et je lui dis tout. Tout ça.

Je retourne chez les gendarmes et je me fais auditionner. Je ne minimise rien, je n’accentue rien. Les faits et rien que les faits. Je ne charge pas mon agresseur. Je me limite à ce dont il est question. Je me trouve raisonnable.

Les faits c’est que j’étais d’accord pour avoir un rapport sexuel protégé. Nous avons eu un rapport sexuel protégé. Puis le mec a retiré le préservatif. Il est rentré en moi à nouveau sans préservatif. Je l’ai repoussé physiquement pour qu’il sorte de moi et je lui ai rappelé le deal : Ok pour du sexe avec préservatif. Sinon pas de pénétration. C’est là qu’il me dit cette phrase qui est restée gravée « tu sais, j’ai 35 ans et j’ai jamais mit une meuf enceinte, je sais me retirer quand il faut ». Et sans me laisser le temps d’y réfléchir il rentre en moi à nouveau.

C’est un viol. Point barre.

Si toi qui me lis tu ne trouves pas que c’est un viol, je m’en moque. La loi est claire. C’est un viol.

Alors oui on a tous le droit à l’erreur. Oui je veux bien accorder des secondes chances. Mais faudrait les demander les secondes chances. Et puis il faudrait s’excuser, montrer qu’on a comprit avoir commit un viol. Et à minima dire qu’on ne va pas recommencer.

J’ai attendu 6 mois entre les faits et mon déplacement à la gendarmerie. Trois jours après les faits j’avais envoyé un message à mon agresseur détaillant ce qui c’était passé pendant notre rapport sexuel et comment je l’avais pris. Pendant 6 mois il n’a pas été capable de me dire des excuses, ni de faire semblant de se remettre en cause.

Maintenant dans mon entourage des gens ne veulent pas prendre parti. Un collectif dans lequel plusieurs de mes amis sont membres a invité mon agresseur à mixer à une soirée. « Le collectif ne prend pas parti ». Il me semble que « ne pas prendre parti » c’est très différent que de faire jouer sur scène mon agresseur. Pour moi ne pas prendre parti ça aurait été de le décommander et d’attendre l’issue judiciaire de cette histoire. L’enquête n’est pas finie. Mon agresseur n’a toujours pas été interpellé ni entendu par les gendarmes. Mais il va mixer à une soirée, dans la petite ville dans laquelle je vie, devant tous mes voisins et mes potes, invités entre autres par des gens que j’appelle mes amis. Moi je me prends tout dans la gueule.

Ça fait une semaine que je pleure. J’avais l’impression que ça ne m’avait pas touché dans ma chair. Que j’étais forte et en colère. Mais en fait je suis triste aussi. Très très triste. Je traverse une à une les étapes du deuil. Le choc, le déni, la colère, maintenant la tristesse. Ça y est, je pleure enfin. C’est libérateur.

Le fait que je vive tout ça et que j’en parle, ça change tout. Des copines me racontent ce qu’elles vivent dans leur intimité. Et c’est moche, très moche. Beaucoup de gens vont tomber de haut.

Je me suis faite violer. D’autres agressions ont eu lieu dans le même milieu, dans le même entre-soi. Il va falloir qu’on agisse les meufs, il va falloir qu’on se protège et qu’on se serre les coudes. Et il faut qu’on comprenne que les mecs qui ne nous soutiennent pas sont ceux qui nous agressent. Que prendre partie dans le cadre d’une agression est évident et que ceux qui ne le font pas ont quelque-chose à se reprocher. Que les femmes qui trouvent qu’on exagère sont celles qui sont encore dans le déni de la gravité de ce qu’elles vivent dans leur vie intime ou alors celles qui ont réussi par miracle à passer entre les gouttes des agressions sexistes et sexuelles.

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